Présentation

Bordeaux IAWBH 2018

 

L’importance croissante des problématiques de harcèlement moral un peu partout dans le monde est incontestablement révélatrice d’une transformation profonde du travail, mais aussi de la société. Qu’on l’appelle harcèlement moral comme en France et en Belgique, harcèlement psychologique comme au Québec, power harassment au Japon, mobbing ou bullying dans d’autres pays, nul ne conteste la réalité du phénomène et ses conséquences désastreuses tant sur la santé et l’identité des salariés ciblés que sur les organisations.

Cependant il semble que l’on assiste actuellement à un élargissement des préoccupations autour de la notion de harcèlement moral ouvrant la porte à d’autres problématiques de souffrance ou de mal-être au travail, regroupées sous le vocable de « risques psycho-sociaux », et parfois confondues avec le harcèlement moral. Cette confusion a été accentuée dans les pays qui ont défini juridiquement le harcèlement moral, cristallisant ainsi le débat autour de lui jusqu’à introduire en droit comme en France la notion de « harcèlement managérial » visant des« méthodes de gestion mises en œuvre par un supérieur hiérarchique dès lors qu’elles se manifestent pour un salarié déterminé par des agissements répétés ayant pour objet ou pour effet d’entraîner une dégradation des conditions de travail susceptibles de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel »*.

Cela nous amène à réexaminer les limites entre le harcèlement moral, le stress, l'épuisement professionnel (ou « burn-out »), les mauvaises conditions de travail et d'autres formes de violence au travail. Ce questionnement avait déjà eu lieu dès les premiers travaux sur ce sujet pointant que des discussions pouvant surgir sur la différence entre stress et « mobbing ». Leymann avait souligné qu’un milieu de travail nocif pouvait induire indirectement du harcèlement : « De très mauvaises conditions de travail peuvent provoquer des réactions biologiques de stress (…) Cela peut ensuite provoquer un sentiment de frustration (…) Les personnes frustrées peuvent ensuite en faire le reproche aux autres ce qui les amène à devenir des stresseurs pour eux, créant ainsi une situation de harcèlement individuel ».**

Mais la situation s’est complexifiée. Les nouveaux modes d’organisations du travail centrés sur la performance tendent à instrumentaliser les personnes. Or nous rencontrons des cas où les méthodes de gestion elles-mêmes viennent à bafouer le respect qui est dû à chaque salarié et à dégrader leur santé.

Dans un contexte de compétitivité mondialisée, il est demandé de travailler toujours plus, toujours plus vite et de s’adapter en permanence à de nouvelles exigences et aux nouvelles technologies, sans laisser un temps pour penser et faire du travail de qualité. Les travailleurs sont isolés, sont responsabilisés et mis en concurrence pour sélectionner les meilleurs voire pour éliminer ceux qui sont les moins performants. Le travail s’est déshumanisé, il ne s’exprime plus dans une relation humaine mais à travers des chiffres, des objectifs et des résultats. La rentabilité est recherchée à travers la standardisation et le contrôle sans questionnement sur d’éventuelles conséquences humaines, la santé physique ou mentale des travailleurs.

Placés sous une pression permanente, craignant de perdre leur emploi, les salariés n’osent pas réagir ni s’insurger. En période de crise la limite entre ce qui est simplement un management un peu dur et du harcèlement managérial est devenue imprécise. Les salariés sont rendus responsables de leurs succès mais aussi de leurs échecs, voire du harcèlement qu’ils subissent. Certains se résignent et finissent par considérer comme normale la dégradation de leurs conditions de travail, d’autres font le choix de quitter les grands groupes pour inventer d’autres façons de travailler.

En dépit des lois ou recommandations qui existent dans un certain nombre de pays, il est toujours difficile pour une personne ciblée de se défendre. Si les employeurs commencent à prendre des mesures pour lutter contre le stress, ils tardent à vouloir repérer le harcèlement qui peut paraître trop subjectif, trop lié à la personnalité du salarié. Ils continuent d’ignorer l’importance du facteur humain dans la productivité. Pourtant, si on veut aller vers du mieux-être au travail, il est primordial de considérer l’homme en tant qu’être humain avec ce que cela implique d’éventuelles fragilités.

Pour orienter le débat sur la prévention, il nous faut appréhender l’évolution du concept de harcèlement moral au regard de sa définition et de sa qualification juridique, mais en tenant compte des modes actuels de gestion des organisations et des mutations culturelles qui se font jour.

 

* Arrêt de la Cour de cassation du 10 novembre 2009 n° 07-45.321.

** Leymann H. (1996) The content and development of mobbing at work. European journal of work and organizational psychology, vol 5, number 2, 164-184.

 

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